Préface

Préface de Geert van Istendael

Cela fait des années déjà.

Nous parlions entre Flamands de Charleroi. Ou bien était-ce de Liège? Cela n’a pas grande importance. J’ai dit: « Vous savez, les Wallons sont des gens sympathiques. » À ces mots, mes « compatriotes » m’ont regardé d’un air étonné. Ni incrédule, ni hostile, juste étonné.

Je lis ‘La terre promise’. Pascal Verbeken écrit: « Une fois encore, je suis frappé de voir combien les Wallons sont amicaux… » Je ne suis donc pas le seul à le dire.

Généralisation facile? Préjugé favorable, de même qu’il en existe tant d’autres allant dans l’autre sens? Ils ne sont que trop connus: les Wallons, ces pourris grévistes, ces chômeurs fainéants, incapables de se bouger sauf quand il s’agit de toucher leurs allocations. Les Wallons, cette bande de profiteurs.

Pascal Verbeken connaît ces préjugés lui aussi. Il les cite, puis les analyse. D’où viennent-ils? Par qui ou quoi sont-ils alimentés?

Depuis des générations déjà, le nombre de chômeurs atteint dans les anciens bassins industriels du sud du pays des proportions astronomiques. Personne ne le nie. Mais cette fois, Pascal Verbeken donne la parole aux Wallons eux-mêmes, aux victimes de ce que l’on nomme le « déclin wallon ». Il donne également la parole à ceux qui, malgré une histoire portant au désespoir et les prévisions les plus noires, refusent de se résigner, aux Wallons qui continuent obstinément à travailler à un avenir qui ne peut qu’être – qui doit être – meilleur. Voilà déjà deux bonnes raisons pour les Wallons de lire ce livre.

Mais il y en a deux autres pour que tant les Wallons que les Flamands le lisent.

Pascal Verbeken y part à la recherche de l’histoire sombre de l’immigration flamande en Wallonie, de l’émigration massive du nord vers le sud. Il n’est certainement pas le premier à écrire à ce sujet, mais il le fait en journaliste jusqu’au-boutiste, qui refuse de s’arrêter tant qu’il n’a pas retrouvé la trace du dernier mineur flamand encore en vie ou du dernier petit-enfant de ce mineur. Leurs récits parlent de misère, de faim, de déracinement, de manieurs de couteaux et d’ivrognes. Mais ils parlent aussi d’espoir. D’intégration. De nouvelle vie. De camaraderie et de solidarité.

Et puis il y a les nombreuses références à l’ouvrage que le journaliste socialiste francophone Auguste De Winne écrivit il y a un siècle sur l’inimaginable pauvreté de la Flandre. Les Flamands oublient trop facilement leur passé de cruel dénuement, d’exploitation des enfants et d’estomacs vides. De jurons et de coups. D’analphabétisme. Ils oublient trop facilement que la Wallonie possède un glorieux passé industriel. Ils ne veulent pas non plus voir que le déclin wallon pourrait bien être rapidement suivi d’un déclin flamand. Que Dame Pauvreté est toujours susceptible de frapper à la porte.

Ce livre parle de nous tous. C’est pourquoi nous devons tous le lire. Pour regarder vers l’avenir. Pour nous souvenir. Et parce que le souvenir est la matière première d’une civilisation.

Geert van Istendael